La réparation du préjudice moral dans les accidents de transport aérien (Fr)

Kenneth WEISSBERG, Avocat au Barreau de Paris ; Narjess NAOUAR, Elève-avocat à l’EFB de Paris

Cette question nous a interpellés à l’occasion d’une affaire qui a été soumise aux juridictions
algériennes. Les faits de l’espèce étaient les suivants : une ressortissante algérienne a été
victime en 2002 d’un accident d’avion dans lequel 14 personnes ont trouvé la mort. Le billet
avait été émis par Air Algérie pour effectuer le trajet Alger – Le Caire – Alger, mais la
compagnie algérienne s’était adjointe les services d’une autre compagnie aérienne Egyptair.
C’est près de Tunis, où une escale était prévue durant le trajet Le Caire – Alger que s’est
produite la catastrophe. La victime a subi de très importants préjudices, de nature
psychologique, physique et économique dont elle a demandé réparation à Air Algérie,
Egyptair et Boeing, constructeur de l’appareil. Le jugement rendu dans cette affaire, et qui a
été confirmé en appel a mis hors de cause Egyptair – transporteur de fait ! – et Boeing, et
retenu la responsabilité d’Air Algérie pour un montant non encore fixé, une expertise ayant
été ordonnée aux fins de déterminer le préjudice réellement subi par la victime.

La plaignante demandait réparation des préjudices corporel et moral subis par elle, fondant
son action sur la Convention de Varsovie de 1929.

La convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international
a été signée le 12 octobre 1929 à Varsovie. Elle instaure un régime international uniforme et a
pour objet d’unifier en matière de transport aérien de personnes, de bagages comme de
marchandises, les règles relatives aux titres de transport et à la responsabilité civile du
transporteur.

La Convention de Varsovie s’applique notamment à tout transport international de personnes
effectué par aéronef contre rémunération. Lorsqu’elle ne s’applique pas, il revient à chaque
législation nationale de déterminer les conditions de mise en cause du transporteur aérien ainsi
que les types de préjudices ouvrant droit à réparation et l’étendue de l’indemnisation qui sera
éventuellement versée.

Lorsque la Convention de Varsovie est applicable et que l’on se trouve dans les cas prévus aux articles 17 à 19, « toute action en responsabilité, à quelque titre que ce soit, ne peut être intentée que dans les conditions et limites » qu’elle prévoit.

Il n’est donc pas possible de tourner les règles de la Convention de Varsovie en se prévalant
d’autres règles : elle régit le litige de façon exclusive – ce point a fait l’objet d’importantes
discussions doctrinales et jurisprudentielles – et les droits nationaux n’interviendront que sur
les sujets qu’elle ne traite pas.

La présomption de responsabilité édictée par l’article 17 de la Convention de Varsovie trouve
application lorsqu’un accident survenu à bord d’un aéronef a été la cause du dommage dont il
est demandé réparation. Ainsi, tout dommage, matériel ou corporel, subi par le passager
pendant le temps du transport fait présumer la faute du transporteur et engage sa
responsabilité.

La Convention de Varsovie énumère trois catégories de causes pour lesquelles le demandeur
pourra agir en justice. L’une de ces catégories vise la mort, les blessures ainsi que les lésions
corporelles.

Si les expressions « mort » et « blessure » n’appellent pas d’observations particulières, il en
est autrement de la notion de «lésion corporelle ». La question est de savoir si cette
expression, visée dans l’article 17 de la Convention de Varsovie, englobe le traumatisme
causé par l’accident et qui a engendré des sentiments d’angoisse et dépressifs ainsi que
d’autres dommages de nature émotionnelle et psychologique, ce qui permettrait d’indemniser
le préjudice moral subi, sur le fondement de ce texte.

Il n’existe pas de juridiction internationale assurant une interprétation uniforme de la
Convention de Varsovie. Elle est donc susceptible d’avoir une portée différente selon les
pays.

Par ailleurs, la Convention de Varsovie régit seulement l’origine du dommages, ses causes
(mort ou blessure), elle s’en remet au droit national pour la détermination des préjudices
indemnisables et de l’étendue des indemnisations.

En vertu de l’article 28 de la Convention de Varsovie, le demandeur dispose d’un choix, ce qui autorise le « forum shopping». Ainsi, il peut pratiquement choisir entre trois fors, à la condition qu’ils soient situés « sur le territoire d’une des Hautes parties contractantes » :
• le tribunal du siège principal de l’exploitation du transporteur ou de son domicile ;
• le tribunal du lieu où le transporteur possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu ;
• le tribunal du lieu de destination.

Sont donc exclus le tribunal du lieu d’escale ainsi que le tribunal du lieu de survenance de
l’accident à défaut d’établissement du transporteur.

Ainsi, le demandeur sera en pratique amené à choisir le tribunal qui acceptera d’indemniser
un certain type de préjudice, ou encore celui qui lui accordera la plus forte indemnité.

La question de la réparation du préjudice psychique a donné lieu à un certain nombre de
décisions en France et aux Etats- Unis, pays partageant la proéminence en matière de
contentieux aérien.

I. La réparation du préjudice moral en France

Il est à noter qu’en matière de responsabilité du transporteur aérien, les règles de la Convention de Varsovie sont applicables tant en droit interne qu’aux transports internationaux au sens de la Convention de Varsovie. En effet, le Code de l’aviation civile (1) rend applicable en droit interne français les dispositions de la Convention de Varsovie sur la responsabilité du transporteur aérien. La responsabilité du transporteur par air ne pourra être recherchée que dans les conditions et limites prévues par le traité international.

En France, les compagnies aériennes ont souvent tendance à indemniser automatiquement et
d’elles mêmes les victimes en cas de crash aérien, sans même attendre que ces dernières ne
recourent à la justice. Ainsi, les juridictions françaises n’ont toujours pas eu à se prononcer
sur la question de savoir ce que recouvre la notion de « lésion corporelle », si elle comprend
uniquement la lésion qui n’entraîne qu’un préjudice physique ou si elle comprend également
une lésion qui occasionna un préjudice psychique.

Dans une affaire(2) où le problème aurait pu être posé – les victimes d’un acte de piraterie
aérienne demandaient réparation de leur « préjudice physique, nerveux, matériel et moral » –
la Compagnie Air France n’a pas contesté l’application aux faits de la cause de l’article 17 de
la Convention de Varsovie. Un arrêt(3) rendu par la Cour de cassation en 1982, sans examiner
la question de front ni retenir la responsabilité du transporteur aérien, fait état du préjudice
éprouvé par des passagers victimes d’une opération de piraterie aérienne « tant sur le plan
physique que sur le plan psychique ». En l’espèce, le transporteur aérien avait été exonéré de
toute responsabilité pour les préjudices physiques et psychiques subis par des passagers non
pas parce que le préjudice psychique ne serait pas indemnisable mais parce que le transporteur
prouvait qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour éviter le dommage au sens de
l’article 20 de la Convention de Varsovie.

En droit social, où le problème se pose dans les mêmes termes – la notion d’accident du travail
« n’est légalement caractérisée que par une lésion corporelle » – un arrêt(4) de la Cour de
cassation a assimilé un simple trouble psychique à une lésion corporelle. La Cour de cassation
a récemment retenu cette qualification pour une dépression nerveuse apparue à la suite d’un
entretien d’évaluation(5). La notion de lésion corporelle est donc entendue largement,
puisqu’elle s’étend aux troubles psychiques. La même solution pourrait être étendue à
l’interprétation de l’article 17 de la Convention de Varsovie.

La Convention de Varsovie s’en remet au droit national pour la détermination des types de
dommages réparables. En droit français, le dommage est réparable, sur le fondement de
l’article 1382 du code civil qui s’applique aussi bien au dommage moral qu’au dommage
matériel(6), dès lors qu’il est personnel, direct et certain(7).

Ainsi, lorsque ces trois éléments sont réunis, la victime peut prétendre à indemnisation de
toute atteinte à l’intégrité physique, pour la douleur qu’elle a éprouvée dans sa chair, physique
ou morale.

La jurisprudence, tout en souscrivant à une conception dualiste du pretium doloris, notion qui
recouvre les souffrances endurées physiques ou morales, écarte du vivant de la victime
l’existence d’un préjudice moral qui se fond ainsi dans la définition légale du pretium doloris.

En dehors de l’hypothèse extrême des victimes contaminées par le virus du sida, il ne semble
pas exister d’exemple d’indemnisation d’un préjudice moral distinct de celle des souffrances
morales qui entrent dans la composition du pretium doloris.

En effet, il est admis de manière générale que le préjudice corporel personnel recouvre le
pretium doloris (« souffrances endurées »), le préjudice esthétique, le préjudice d’agrément, le
préjudice sexuel, et le préjudice juvénile, et ces postes semblent recouvrir de manière
exhaustive l’ensemble des conséquences sur un plan moral et subjectif des atteintes et des
séquelles subies et endurées. Dès lors, il paraît difficile d’identifier aujourd’hui un concept
radicalement nouveau qui réparerait un aspect du préjudice moral nettement différent de ceux
que réparent les postes précités.

La cour de cassation a récemment cassé un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui
avait accueilli la demande d’une victime concernant un préjudice moral distinct du pretium
doloris pour la conscience qu’avait cette victime de la gravité d’atteintes irréversibles et a
rappelé que l’indemnisation du prix de la douleur réparait tant les souffrances physiques que
les souffrances morales et qu’en indemnisant un préjudice moral distinct, les juges du fond
avaient accordé une réparation excédant le montant du préjudice(8). La Cour de cassation
avait déjà affirmé auparavant que « par l’indemnisation du prix de la douleur, sont réparées,
non seulement les souffrances physiques, mais aussi les souffrances morales »(9).

Cependant, même si les tribunaux sont réticents à admettre l’existence d’un préjudice moral
distinct, ce n’est que dans la mesure où ils considèrent que ce type de préjudice est réparé au
titre du prix de la douleur. Dès lors, le préjudice psychique subi à la suite d’un accident
survenu lors d’une opération de transport aérien régie par la Convention de Varsovie est sans
conteste réparable et réparé.

II. La réparation du préjudice moral aux Etats-Unis

A. La réparation du dommage purement moral

L’interprétation du terme « lésion corporelle » ou « bodily injury » en traduction anglaise a
été débattue dans le cadre de nombreux jugements fédéraux et de jugements des Etats.

La jurisprudence américaine retient une conception restrictive de la notion « lésion
corporelle» visée dans l’article 17 de la Convention de Varsovie puisqu’elle considère que
cette notion n’inclut pas le préjudice psychique. Cette position a été confirmée dans un arrêt
rendu par la Cour Suprême des Etats-Unis, Eastern Airlines v. Floyd(10), le 17 avril 1991.

Par cet arrêt, la Cour Suprême a infirmé l’arrêt de la Cour d’appel fédérale du 11e circuit
lequel estimait que l’article 17 de la Convention de Varsovie autorise la réparation de troubles
purement psychiques en l’absence de dommage physique. L’analyse de la cour d’appel avait
été jugée convaincante et suivie par d’autres juridictions, notamment la Cour Suprême de
l’Etat de Floride(11), dans une affaire concernant le même accident, et le Tribunal du district
du Colorado(12).

Cependant, en l’état actuel des textes, la position de la Cour Suprême américaine est bien
établie : l’article 17 de la Convention de Varsovie n’autorise pas la réparation des dommages
purement psychiques.

B. La réparation du préjudice moral accompagnant un préjudice corporel

La jurisprudence de la Cour Suprême qui exclu la réparation du préjudice psychique en
l’absence de tout préjudice corporel ne s’est pas prononcée sur le point de savoir si la
Convention de Varsovie autorise la réparation du préjudice psychique accompagnant un
préjudice corporel.

Aucun tribunal américain ne semble avoir jugé que la Convention de Varsovie excluait dans
tous les cas la réparation du préjudice moral. Dans l’arrêt Jack v. Trans World Airlines,
Inc.(13), le tribunal a rejeté cette approche au motif qu’elle restreint de manière trop
importante les droits des passagers.

Au contraire, le courant majoritaire, qui se fonde principalement sur cette jurisprudence
considère que le préjudice psychique peut être réparé dans la mesure où un tel préjudice est
causé par l’atteinte à l’intégrité physique subie.

Dans l’arrêt Jack v. Trans World Airlines, Inc., le tribunal a évalué les différentes solutions
envisageables quant à l’indemnisation du préjudice moral dans le cadre de l’application de la
Convention de Varsovie, ces solutions allant de l’absence de toute indemnisation du préjudice
psychique à l’indemnisation des seules souffrances psychiques «découlant » des lésions
corporelles, et a conclu que cette dernière approche était la plus adéquate.

Certains tribunaux ont accordé des réparations intégrales au titre du préjudice moral à la seule
condition qu’il existe un préjudice corporel quelqu’il soit, et même en l’absence de tout lien
entre les deux. Ainsi, dans l’affaire Chendrimada v. Air-India(14), le tribunal a refusé de
rejeter une demande formée par le plaignant pour obtenir réparation du préjudice psychique
qu’il a subi au motif qu’il arguait également d’un préjudice corporel incluant des nausées
ainsi que des crampes.

Cependant, la plupart des tribunaux n’adhèrent pas à cette solution et considèrent que le
préjudice moral doit, pour être réparé, découler du préjudice corporel causé par l’accident, ce
qui est conforme à la position retenue par la Cour Suprême des Etats-Unis dans l’arrêt Eastern
Airlines v. Floyd, et permet d’indemniser intégralement les victimes, dans les limites établies
par la Convention de Varsovie. En effet, si le préjudice psychique découle de, ou est causé par
le préjudice corporel, celui-ci ne sera pas intégralement réparé si l’on n’autorise pas la
réparation de l’aspect moral du préjudice subi.

Il nous paraît dès lors nécessaire de distinguer le préjudice psychique découlant du préjudice
corporel subi lors de l’accident du préjudice psychique causé directement par la survenance de
l’accident, seul le premier étant réparable.

S’est également posée la question de savoir si les manifestations physiques qui font suite au
trouble psychique subi sont réparables sur le fondement de la Convention de Varsovie.
Plusieurs juridictions ont refusé d’accorder des réparations au titre de telspréjudices. En effet,
l’arrêt Eastern Airlines v. Floyd opère une distinction claire entre le préjudice psychique et le
préjudice corporel. Si l’on admet l’octroi d’une réparation au titre des manifestations
physiques du préjudice moral subi, cette distinction ne peut plus être opérée.

Ainsi, la cour d’appel a jugé que la Convention de Varsovie autorise la réparation du préjudice psychique dans la mesure où il est causé par les dommages corporels subis lors de l’accident(15). Mais elle a également considéré que les manifestations physiques de troubles psychiques telles que la perte de poids, ou encore l’insomnie n’ouvrent pas droit à réparation sur le fondement de ladite convention.

Les faits de l’espèce étaient les suivants : mademoiselle Anna Lloyd, ressortissante
américaine, a été victime d’un accident d’avion de la compagnie aérienne American Airlines,
survenu en 1999 dans lequel périrent 11 personnes.

L’accident s’est produit sur la piste d’atterrissage de l’aéroport de Litlle Rock dans
l’Arkansas. Cette rescapée a assigné American Airlines en réparation des préjudices qu’elle
avait subis. S’agissant d’un transport international, la Convention de Varsovie était en
l’espèce applicable.

Lors de l’accident, la jambe de la victime a été perforée et éraflée par des boulons provenant
d’un siège de l’avion.

Elle a également subi un traumatisme au niveau des quadriceps du fait d’autres sièges qui sont
tombés sur ses genoux. Elle a donc été soignée pour ces différentes blessures et pour avoir
inhalé de la fumée, et a quitté l’hôpital le jour même de l’accident. La cour d’appel, en
l’espèce, a accepté d’indemniser les préjudices psychiques subis par la victime – stress post-
traumatique, dépression – en rapport avec son préjudice physique. Ainsi, en l’espèce,
Mademoiselle Lloyd a obtenu la somme de $ 1,5 millions au titre des préjudices physique et
psychique – autrement appelé « pain and suffering » aux Etats-Unis – qu’elle a subis, et qui
sont sensiblement proches de ceux subis par la victime algérienne de la catastrophe survenue
près de Tunis évoquée plus haut.

Les juridictions africaines seraient bien inspirées de tenir compte de l’analyse faite par les juridictions des Etats qui sont le plus souvent amenés à connaître de demandes d’indemnisation et qui bénéficient d’une plus large expérience et d’outils d’appréciation performants (rapports d’experts psychiatres documentation…).

***

(1) Article L.321-3 et suivants
(2) TGI de Paris, 11 mai 1984
(3) Civ. 1, 16 février 1982, Bull. civ. 1982, I, n° 73, p. 63
(4) Cass. soc. 27 janvier 1961, Bull. civ. 1961, IV, n° 134
(5) Civ. 2, 1er juillet 2003, n° 0240.576 FS-P, CPAM de Dordogne c/Ratinaud et a.
(6) Cass. civ. 13 février 1923
(7) Civ. 2, 23 mai 1977
(8) Civ. 2, 9 décembre 2004, n° de pourvoi : 03-15962
(9) Civ. 2, 5 janvier 1994, n° de pourvoi : 92-12185
(10) Eastern Airlines v. Floyd, le 17 avril 1991, 499 U. S. 530
(11) Eastern Airlines v. King, 15 février 1990, 22 Avi. 17,816
(12) Morgan v. United Air Lines, 6 novembre 1990, 23 Avi. 17,438
(13) Jack v. Trans World Airlines, Inc., 854 F. Supp. 654, 665 North District California, 1994
(14) Chendrimada v. Air-India, 802 F. Supp. 1089, 1092-93 South District New York, 1992
(15) Lloyd v. American Airlines Inc., 291F 3d 503, 8e circuit 2002




Choix de la juridiction la plus efficace en matière d’accident aérien (Fr)

INTRODUCTION

Les progrès techniques dans le domaine des transports s’amplifient, parallèlement, le contentieux en matière de droit aérien évolue.

Devant cette évolution, le droit est destiné à régir ce mode de transport.

L’opposition réside dans le fait que le droit est national, interne, alors que l’aviation a une
vocation internationale, ce qui pose le problème des conflits des lois ainsi que de toutes les
questions relatives à la responsabilité des transporteurs aériens.

La dernière catastrophe aérienne du 25 juillet 2000, celle du Concorde, est l’illustration
tragique de ce que peuvent représenter le progrès technique et l’évolution de ce contentieux.

S’agissant de l’affaire du Concorde, se pose le problème de savoir quelles juridictions vont
être compétentes, l’intérêt étant que le montant de l’indemnisation peut varier d’un pays à
l’autre.

Les avocats des ayants droit des victimes souhaitent par conséquent obtenir des sommes
proches des dommages et intérêts obtenus par les victimes des accidents aux États-Unis,
généralement beaucoup plus élevés que ceux versés dans le reste du monde.

L’évolution du préjudice varie donc en fonction des juridictions et du droit applicable.

Ainsi, dans le cas de l’accident du Concorde, selon l’article 28 de la Convention de Varsovie
de 1929, quatre juridictions peuvent être saisies : celle du lieu du départ de l’avion, celle du
lieu de destination, celle du lieu d’émission du billet et celle du lieu de résidence du
transporteur.

La Nouvelle Convention de Montréal de 1999 prévoit comme juridictions compétentes le lieu du domicile des victimes.

Le coût de l’accident du Concorde, quant à lui, pourrait atteindre 350 millions de dollars,
selon un expert de l’Institut de l’Information de l’Assurance basé à New York. (Le Monde 27
juillet 2000).

L’on voit ainsi que les conséquences du choix de fonder telle ou telle compétence est de taille,
compte tenu des enjeux financiers que représentent l’indemnisation des victimes.

A l’inverse, pour les accidents aériens qui se seraient produits dans un pays du Tiers Monde,
l’indemnisation ne serait pas la même, (le 30 janvier 2000, le vol de Kenya Airways qui
effectuait la liaison Abidjan – Lagos – Nairobi s’est écrasé peu après son décollage de
l’aéroport d’Abidjan), et le montant maximum proposé par la compagnie aérienne s’élève à
20 000 $ de dommages et intérêts.

Parler du régime de responsabilité en matière de transport aérien implique naturellement de
parler de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929, et d’en rappeler ses principes, tant
en ce qui concerne les règles de compétence applicables que ce qui concerne le régime de
responsabilité en matière de preuve.

I- REGLES APPLICABLES EN MATIERE DE DROIT AERIEN SOUS LA CONVENTION DE VARSOVIE :

A. REGLES DE COMPETENCE

La notion de transport aérien international est définie à l’article 1er de la Convention de
Varsovie. La Convention de Varsovie permet en son article 28 que l’action en responsabilité
soit portée, au choix du demandeur, que dans des lieux préétablis, à savoir :
– Le Tribunal du domicile du transporteur

– Le siège principal de son exploitation
– Le lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat de transport a été établi
– Le Tribunal du lieu de destination

Cette action doit être intentée sous peine de déchéance, dans un délai de deux ans, à compter
de l’arrivée à destination, ou du jour où l’aéronef aurait dû arriver, ou de l’arrêt de transport
(article 29).

B. REGIME DE RESPONSABILITE

La Convention de Varsovie pose de même les principes de responsabilité, à savoir que le
transporteur aérien est présumé responsable (article 17) du dommage survenu, “en cas de
mort, de blessures ou de toutes autres lésions corporelles subies par un voyageur, lorsque
l’accident qui a causé un dommage s’est produit à bord de l’aéronef, ou au cours de toute
opération d’embarquement ou de débarquement”.

De ce fait, pour déclencher la présomption de responsabilité du transporteur, la victime ou ses
ayants-droits devra simplement prouver qu’elle a subi un dommage (consécutif à un accident),
et que celui-ci est survenu à bord de l’aéronef au cours des opérations d’embarquement ou de
débarquement.

Le transporteur ne pourra pas échapper à la présomption de responsabilité hormis la faute de la personne lésée (article 21), sauf s’il prouve que lui-même et ses préposés ont pris toutes les mesures nécessaires pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre (article 20).

C. NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE ET MONTANT DE LA REPARATION

Les limites de réparation en cas de mort accidentelle ou de blessures des passagers actuellement prévus par la Convention de Varsovie sont de 125 000 Francs-or par personne (environ 10 000 $ U.S ou 62 000 FF).

Toutefois, par une convention spéciale avec le transporteur, le passager pourra fixer une limite
de responsabilité plus élevée (article 22.1). Cette limite a été portée à 250 000 Francs-or
(environ 20 000 $ US ou 124 000 FF) par le Protocole Additionnel à la Convention de
Varsovie, dit «Protocole de La Haye» (entré en vigueur le 1e août 1963).

De même, il est possible que le plafond prévu par la Convention de Varsovie soit dépassé,
pour ainsi permettre à la victime d’obtenir l’entière réparation de son préjudice.

Cette faculté résulte de l’article 25 de la Convention de Varsovie qui précise que si une faute
inexcusable (la faute inexcusable ayant été interprétée par la Jurisprudence comme une faute
objective) peut être reprochée au transporteur ou à ses préposés (agissant dans l’exercice de
leurs fonctions), les limites de la responsabilité de l’article 22 ne s’appliquent pas.

Devant l’impossibilité d’aboutir à un accord international, nombreux sont les Etats qui ont,
pour le transport aérien intérieur, augmenté ces plafonds. C’est par exemple le cas de la
France qui a établi le plafond de responsabilité à 750 000 FF (article L 322-3 du Code de
l’aviation civile), ou encore celui des Etats-Unis et du Japon qui ne prévoient aucune
limitation de responsabilité.

II- REGLES APPLICABLES EN MATIERE DE DROIT AERIEN SOUS LA CONVENTION DE MONTREAL :

Le Conseil de l’Organisation de l’Aviation Civile International s’est réuni à Montréal en
1999, pour préparer une nouvelle Convention, afin de remplacer la Convention de Varsovie
de 1929.

L’objectif de la nouvelle convention n’est pas seulement d’abandonner la convention de 1929,
mais également de présenter un nouvel ensemble de règles régissant la responsabilité du
transporteur aérien.

A. NOUVELLES DISPOSITIONS EN MATIERE DE COMPETENCE

Parmi les nouveautés de la nouvelle convention de Montréal, figure l’élargissement des quatre
juridictions de l’article 28 de la Convention de Varsovie.

En effet, elle introduit une nouvelle juridiction qui est celle du lieu où le passager a sa
résidence principale ou permanente, si le transporteur exerce ses activités directement ou par
l’intermédiaire d’un partenaire commercial dans le ressort de cette juridiction.

Ainsi, l’article 33 de la nouvelle Convention dispose : «En ce qui concerne le dommage
résultant de la mort ou d’une lésion corporelle subie par un passager, l’action en

responsabilité peut être intentée …sur le territoire d’un Etat partie où le passager a sa
résidence principale et permanente au moment de l’accident et vers lequel ou à partir duquel
le transporteur exploite des services de transport aérien…»

Le résidence principale et permanente désignant le lieu unique de séjour fixe et permanent du
passager au moment de l’accident. La nationalité du passager n’étant par le facteur
déterminant à cet égard.

Cependant, cette cinquième compétence est optionnelle et n’est applicable que sous trois
conditions cumulatives de résidence, d’exploitation et de présence.

B. NOUVELLES DISPOSITIONS EN MATIERE DE RESPONSABILITE

A été d’autre part introduite la notion de responsabilité pour risque ou objective («strict
liability»), pour les accidents, au sens de l’article 17. Dans le régime retenu, le plaignant est
sûr d’obtenir, dans la limite indiquée, réparation du dommage qu’il aura subi, puisque le
transporteur ne pourra invoquer de chefs d’exonération hormis la faute de la victime (article
20).

S’il désire une réparation supplémentaire, il lui faudra affronter le transporteur, qui pourra
alors, prouver le fait que le dommage ne résulte pas de sa négligence (article 21-2-a). De plus,
l’action en dommages et intérêts ne peut être intentée que dans les conditions et les limites de
responsabilité prévues par la Convention.

Ces différentes dispositions réaffirment le principe de l’exclusivité de la Convention de
Varsovie pour toutes les demandes de réparation associées au Contrat de transport, à une
époque où les tribunaux ont parfois tendance à vouloir appliquer la loi nationale.

On assiste donc à une évolution du contentieux en matière de droit aérien, contentieux qui se
traite sur un mode international. Dans le même temps, se produit une unification du droit des
transports, matérialisée par la naissance d’une nouvelle convention, la convention de
Montréal, destinée à apporter des solutions à ce même contentieux.