A propos des articles 14 et 15 du Code Civil et de l’exequatur et des jugements entre la France et les Etats-Unis (Fr)

Introduction : L’Etat du droit en 2011

Certains détracteurs des dispositions nationalistes de notre droit civil répandent la rumeur que le privilège de juridiction relevant des articles 14 et 15 du Code Civil est tombé en désuétude et qu’il ne fait plus partie du droit positif.

Or il n’en est rien.

La jurisprudence Prieur

  1. ne fait que requalifier ce titre de compétence exclusif en compétence facultative.
    Le privilège de juridiction reste efficace dans les rapports extracommunautaires comme on peut le constater dans un récent arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 3 février 2011 (1).
  2. La Cour retient la compétence des juridictions françaises uniquement sur le fondement de l’article 14 du Code Civil pour connaitre d’une action engagée contre une société américaine aux fins de payement des dommages et intérêts en raison de la procédure abusive engagée aux Etats-Unis (2).
    Selon la Cour le fait pour une partie française de se défendre devant le tribunal américain ne constitue pas une renonciation au privilège de juridiction de l’article 14 du Code Civil.

Cependant, par précaution, le défendeur français qui entend résister à l’exécution
d’une décision prise contre lui aux USA sera bien avisé de ne pas se soumettre sans
réserves à une procédure d’enquête américaine.

La procédure d’exequatur française diffère selon que l’on se trouve en présence d’un exequatur de droit commun, c’est-à-dire en dehors de toute convention internationale ou d’un exequatur simplifié sur requête régi par le droit de l’Union Européenne.

Dans la procédure de droit commun, les articles 14 et 15 du Code Civil constituent une défense efficace.

Cette défense ne subsiste au niveau européen que dans les affaires civiles et commerciales qui sont exclues du champ d’application du Règlement N°44-2001 dit Bruxelles I (3).

La procédure américaine ne connaît pas le même obstacle à l’exécution des jugements étrangers, car il n’existe pas d’équivalent aux articles 14 et 15 du Code Civil dans le droit procédurier américain.

Cependant, il existe une défense qui peut être efficace selon les circonstances, tirée du défaut de réciprocité dans le pays d’où provient la décision, dont l’exequatur est requis aux Etats-Unis.

Or, l’argument pourrait prospérer devant les juridictions américaines, qu’un jugement américain prononcé contre un français ne serait pas honoré en France, en raison du refus du défendeur de se soumettre à la juridiction américaine par l’invocation de son privilège de juridiction.

Par conséquent, faute de réciprocité, un jugement français condamnant un américain pourrait ne pas être exequaturé aux Etats-Unis.

Ce problème mérite que l’on compare l’évolution des deux systèmes.

I. RAPPEL DES REGLES REGISSANT L’EXEQUATUR EN FRANCE

A) L’exequatur de droit commun

L’article 509 du Code de procédure civile pose le principe du caractère
exécutoire en France des décisions étrangères sous réserve du respect des règles
légales françaises.

Il est de principe que le juge de l’exequatur n’est jamais un juge du fond, il n’a donc
pas vocation à rejuger les faits qui ont donné lieu au jugement.

Depuis la jurisprudence Cornelissen (4), qui restreint les conditions posées par la jurisprudence antérieure (5), il doit seulement s’assurer de :

  1. la compétence internationale du juge étranger qui a rendu la décision,
  2. la régularité de la procédure suivie devant la juridiction étrangère mais uniquement par rapport à l’ordre public international français et au respect des droits de la défense,
  3. l’absence de toute fraude à la loi française.

Le juge de l’exequatur peut rendre un exequatur partiel ou total du jugement qui lui est soumis.

Une partie peut, également, demander au juge français de constater l’impossibilité de l’exequatur éventuelle d’un jugement étranger en France pour le manquement à l’un de ces critères.

L’intérêt consiste à retenir la compétence du juge français, en évitant les obstacles de la litispendance et de l’autorité de la chose jugé par un tribunal étranger.

Par ailleurs, le défendeur français peut se prévaloir des articles 14 et 15 du Code Civil, pour s’opposer à l’exequatur du jugement étranger, à condition de ne pas avoir renoncé à soulever ce moyen, en comparaissant volontairement dans la procédure étrangère.

B) L’exequatur au sein de l’Union Européenne

En présence d’une demande d’exequatur d’un jugement émanant d’une juridiction d’un Etat membre de l’Union Européen, c’est le Règlement Bruxelles I, remplaçant les Conventions de Bruxelles et de Lugano, qui s’applique pour les matières civiles et commerciales.

Son article 3 écarte l’application des articles 14 et 15 du Code Civil (pour la France ou équivalant à l’étranger) entre les ressortissants des Etats signataires.

Néanmoins, le privilège de juridiction est toujours pertinent dans ses matières non couvertes par le Règlement (des matières fiscales, douanières et administratives) et celles exclues de son champs d’application, à savoir:

  1. l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et successions ;
  2. les faillites, concordats et autres procédures collectives analogues ;
  3. les affaires de sécurité sociale ;
  4. les sentences arbitrales.

Pour ces matières s’applique le droit commun de l’exequatur, à l’exception des
sentences arbitrales qui suivent une procédure particulière.

Afin que la procédure d’exequatur aboutisse et donc que le jugement pour lequel l’exequatur est demandé puisse être exécuté dans le pays souhaité, il convient de s’assurer que les conditions suivantes sont réunies dés l’introduction de la procédure principale devant conduire à l’obtention du jugement :

  1. Respecter scrupuleusement l’ordre public de l’Etat dans lequel le jugement est sollicité ainsi que l’ordre public de l’Etat où l’exequatur sera recherché ;
  2. Faire signifier ou notifier au défendeur l’acte introductif d’instance, régulièrement et en temps utile et en conserver la preuve au dossier ;
  3. Veiller à ce que le jugement ne soit pas inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’Etat dans lequel l’exequatur est demandé ou dans un autre Etat dans un litige ayant le même objet et la même cause ;
  4. S’assurer que le défendeur, dans les affaires civiles et de faillite, qui n’entre pas dans le champ d’application du Règlement, se soit défendu sans soulever le privilège de juridiction.

Une fois vérifié que ces conditions sont réunies il convient de suivre la procédure simplifiée des articles 38 et suivants du Règlement Bruxelles I :

  1. La demande d’exequatur doit être formulée sur requête présentée au Président du Tribunal de Grande Instance du domicile de la partie contre laquelle l’exécution est demandée, et à défaut du lieu de l’exécution qui doit être indiqué dans la requête.
  2. Le Président statue à bref délai, sans que des observations puissent être présentées par la partie contre laquelle l’exécution est demandée.
  3. Une décision est rendue sur requête susceptible d’appel. La procédure devient alors contradictoire et la décision de la Cour d’appel est susceptible de faire objet d’un pourvoi en cassation.

II. L’EXEQUATUR D’UN JUGEMENT FRANÇAIS AUX ETATS-UNIS

Il n’existe aucune convention portant sur l’exécution des jugements entre la France et les Etats-Unis.

Cependant, les juridictions américaines accordent facilement l’exequatur aux jugements français surtout lorsqu’il s’agit de jugement portant condamnation sur sommes d’argent.

En effet, la loi uniforme de reconnaissance des jugements monétaires (Uniform Foreign Money Judgements Recognition Act) (6) fut adoptée dans de nombreux Etats américains, et même dans ceux qui ne l’ont pas adoptée, les tribunaux appliquent généralement cette procédure d’exequatur simplifiée semblable à celle du Règlement Bruxelles I.

La procédure d’exequatur (domestication of foreign judgement) simplifiée consiste à faire inscription du jugement étranger au greffe du Tribunal compétent et l’on signifie l’avis d’inscription au débiteur qui dispose alors d’un délai relativement bref pour faire opposition. Dans ce cas s’ouvre une procédure contradictoire où le juge vérifie les conditions de régularité suivantes :

  1.  Le jugement étranger est définitif.
  2.  Le jugement a été rendu par un tribunal impartial ou selon les exigences prévues par la Constitution américaine en matière de sauvegarde des libertés individuelles (due process of law), étant présisé que toutes les exigences édictées par la constitution ne sont pas nécessairement reprises par la jurisprudence.
    Ainsi l’argument que le procès étranger n’a pas été soumis à un jury, alors que la Constitution américaine en fait un droit fondamental, ne saurait prospérer (7).
  3. Le tribunal étranger était compétent à l’égard de la personne du défendeur.
  4. Le défendeur a été informé de la procédure du jugement étranger dans un délai raisonnable afin de lui permettre d’être à même d’assurer sa défense.
  5. Le jugement n’a pas été obtenu par fraude.
  6.  L’objet de l’action en justice ou de la demande en réparation du préjudice sur lesquels se base le jugement sont conformes à l’ordre public de l’Etat.
  7.  Le jugement n’entre pas en conflit avec un autre jugement définitif.
  8.  Le tribunal étranger ayant rendu le jugement reconnaîtrait une décision similaire rendu dans l’Etat où l’exequatur est demandé.

En pratique il conviendra de produire à l’appui du mémoire en demande
d’exequatur, un certificat de coutume (affidavit) émanant d’un avocat de la
juridiction du pays qui a rendu la décision à exécuter, pouvant attester que lesdites
conditions de validité sont réunies.

Ce dernier point de la réciprocité fut posé par la Cour Suprême des Etats-Unis comme l’un des principes de « Comity » (8).

Celui-ci n’est plus requis dans la plupart des Etats, de sorte qu’il est souvent plus facile pour un plaideur victorieux de faire reconnaitre aux Etats-Unis un jugement obtenu dans son pays, qu’à l’inverse pour une partie gagnante de faire exécuter à l’étranger un jugement obtenu aux États- Unis.

Reste cependant le problème évoqué plus haut de la non réciprocité au regard des articles 14 et 15 du Code Civil français.

Précisons que les jugements correctionnels français comportant des condamnations civiles à l’encontre de citoyens français partis s’établir aux États-Unis, sont régulièrement exequaturés dans plusieurs Etats américains. (9)

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  1. Cass. 1ère civ., 23 mai 2006, Prieur c/ de Montenach : D. 2006, Chron. p.1846, note B. Audit.
  2. CA Paris (1er ch.) 3 février 2011, SAS Surgiview c/Orthotec LLC.
  3. Règlement du Conseil N°44-2001 en date du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 12 du 16.1.2001, p. 1) , qui remplace les Conventions de Bruxelles et du Lugano.
  4. Cass, civ, 1re, 20 février 2007 N° 05-14.082, Cornelissen c/ Sté Avianca INC. La Cour abandonne l’exigence de l’application de la loi compétente d’après les règles françaises de conflit pour autoriser l’exequatur.
  5. Arrêt Munzer (Civ 1re, 7 janvier 1964 – JCP 1964 II 13590) ; arrêt Bachir, Cass. Civ. 1re 4 octobre 1967.
  6. The Uniform Foreign Money Judgements Recognition Act has been approved by an Annual Conference meeting in its seventy-first year Monterey, California July 30 – August 4, 1962.
  7. V. l’arret de la Cour Suprême Hilton c/ GUYOT de 1885 reconnaissant la validité au regard des règles américianes d’ordre public, d’un jugement émanant du Tribunal de Commerce de la Seine en matière de faillite.
  8. « Comity » est la déférence dont doivent faire preuve les juges envers les décisions rendues par une autre cour. C’est la courtoisie, ou encore reconnaissance mutuelle des décisions administratives, législatives et judicaires. Dictionnaire de l’anglais économique et juridique, Anne Deysine, Livre de Poche, 1996 11
  9. Gibsonia Invest c/ Alexandre Byron Exarcos. Circuit Court of the 11th Judicial Circuit, Miami, Florida, March 30th, 1999.