Le droit de la preuve en Chine (Fr)

Kenneth Weissberg, avocat au Barreau de Paris et Conseiller au Commerce Extérieur de la France
Ying Liu, Maîtrise en Droit de l’Université de Xiamen, en Chine et Maîtrise en droit des affaires de l’Université à Paris Ouest Nanterre La Défense, en France.

La preuve joue un rôle essentiel dans la procédure. Un droit n’existe que lorsque une
règle de droit le reconnaît, et que la procédure de ce droit autorise la saisine d’une
juridiction compétente pour faire respecter cette règle.

Il existe une différence importante entre la procédure chinoise et les procédures
occidentales. La répartition des pouvoirs en Chine n’est pas la même que dans les pays
occidentaux. La séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, que l’on
connaît dans les pays occidentaux, n’existe pas en Chine, oùle pouvoir judiciaire y
compris celui du Parquet, et le pouvoir exécutif dépendent du pouvoir législatif.

Le système traditionnel de la procédure chinoise est inquisitoire : la maîtrise du procès est confiée au juge qui joue un rôle actif. En plus des éléments que les parties vont lui soumettre, le juge pourra rechercher lui-même des éléments de preuve afin de fonder sa propre opinion. Cependant avec l’entrée en vigueur du code de procédure civile de 2008 qui s’est inspirédu système de la procédure accusatoire(le système de justice qui s’appuie principalement sur les compétences et habiletés des avocats des parties pour défendre leur version des faits.), l’admissibilité de la preuve est devenue une question de plus en plus importante.

Le Code de procédure civile chinois promulgué le 9 avril 1991 a été modifié le 28 octobre 2007, et est entré en vigueur le 1er avril 2008 (ci-après dénommé CPCC). Dans son chapitre 6, 12 articles concernent la preuve.
Le Code de procédure pénale chinois promulgué le 17 mars 1996 est entré en vigueur le 1er janvier 1997 (ci-après dénommé CPPC). Les dispositions qui concernent la preuve sont au chapitre 5 et comptent 8 articles.

Le Code de procédure administratif chinois promulgué le 4 avril 1989 est entré en vigueur le 1er octobre 1990, son chapitre 5 comprend 6 articles concernant la preuve (ci-après dénommé CPAC).

Toutes ces dispositions étant très abstraites et d’application difficiles, la Cour
Suprême Populaire s’est fondée sur l’expérience des tribunaux et s’est inspirée des
systèmes de common law et de droit civil, pour énoncer“ les dispositions sur certains
problèmes dans l’application du code de procédure civile1”qui ont étépubliées le 6
décembre 2001, et mises en vigueur le 1er avril 2002 (ci-après dénommées
“ Dispositions de 2002”).2

Le but de ces dispositions est d’assurer l’application correcte de la loi et de garantir
aux citoyens l’exercice de leurs pouvoirs.

La première partie de cet article concernera une présentation générale du régime juridique de la preuve en Chine, essentiellement en matière civile. La deuxième partie consistera àanalyser les particularités de la preuve en matière administrative et pénale.

I. Le régime général de la preuve en matière civile

A. La charge de la preuve

A l’instar du droit français, la charge de la preuve en Chine incombe aux parties qui doivent prouver les faits à l’appui de leur prétention.
Selon l’article 64 du CPCC :

Il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Si pour des raisons objectives, les parties et leurs mandants ne peuvent pas recueillir les preuves eux-mêmes, lorsque le tribunal considère que cela est nécessaire pour la résolution du litige, il doit enquêter et recueillir les preuves.

Le tribunal populaire doit enquêter et vérifier les preuves objectivement dans leur ensemble, conformément à la procédure prévue par la loi.

L’article 65 du CPCC précise :

le tribunal a le pouvoir d’enquêter envers les personnes morales et les personnes physiques ; les personnes concernées n’ont pas le droit de refuser.

Les parties ont l’obligation de prouver le préjudice dont elles réclament réparation. En principe, la charge de la preuve pèse sur le demandeur, car celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libérédoit justifier du paiement ou du fait qui a produit l’extinction de son obligation.

Selon l’article 4 des Dispositions de 2002, c’est le défendeur qui doit alors prouver que
la prétention du demandeur n’est pas fondée. L’article 4 énumère huit cas en matière
délictuelle, par exemple s’agissant d’une obligation de réparation en matière de
pollution de l’environnement, il incombe au défendeur de prouver qu’il bénéfice d’une
exonération prévue par la loi, de l’absence du fait générateur de responsabilité, ou de
l’absence de lien de causalité.

En droit français, en matière civile, le juge est passif : les parties doivent fournir les
preuves de leurs prétentions et le juge doit uniquement apprécier leur pertinence. Il ne
peut en rechercher lui même de nouvelles, ni les compléter. Par contre, en droit chinois,
le rôle du juge n’est pas passif. Il est expressément énoncé dans l’alinéa 2 de l’article 64
CPCC, que lorsque le tribunal considère que cela est nécessaire pour la résolution du
litige, il doit enquêter et recueillir les preuves. L’article 7 des Dispositions de 2002
prévoit que, en l’absence de règlement, il incombe au tribunal de déterminer la
charge de la preuve conformément au principe d’égalité et au principe d’honnêteté et
de loyauté.

Au début, cette règle a posé beaucoup de problèmes, il arrivait souvent que le tribunal se substitue aux parties et recueille les preuves à leur place, ce qui posait la question de la légalité et de l’admissibilité des preuves que le tribunal obtenait en excédant ses pouvoirs. La loi était muette sur cette question. Heureusement, avec les Dispositions de 2002, cette question a été résolue, l’article 15 a limité à deux cas dans les quels le tribunal peut recueillir la preuve :

  1. les faits susceptibles de nuire àl’intérêt de l’Etat, l’intérêt général ou
    l’intérêt légitime des autres ;

  2. les motifs procéduraux concernant la suspension du procès, la cessation
    du procès et la récusation.

En dehors de ces deux cas, le tribunal peut recueillir les preuves à la demande des parties, soumises au secret d’Etat ou au secret professionnel.

B. Modes de preuve

Le nouveau code de procédure civile définit les modes de preuve dans une liste
limitative en son article 63 :

  1. La preuve par écrit
  2. La preuve matérielle
  3. L’enregistrement sonore et audiovisuel
  4. Le témoignage
  5. La déposition des parties
  6. Le rapport d’expertise
  7. Le constat du juge
  1. La preuve par écrit : la preuve littérale ou preuve par écrit résulte d’une suite de lettres, de caractères, de chiffres, ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible quelles que soient leurs langues d’origines, y compris l’acte authentique et l’acte sous seing privé.
  2. La preuve matérielle : c’est l’objet lui-même qui prouve les faits juridiques par sa figure, son poids, sa spécification ou tous autres signes ou symboles. S’agissant de litige sur la qualitédes constructions, le bâtiment qui a étéconstruit constitue bien une preuve matérielle.
  3. L’enregistrement sonore et audiovisuel : il contient l’enregistrement du son, l’enregistrement vidéo, les données sauvegardées sur ordinateur. C’est un nouveau mode de preuve, la plupart des systèmes juridiques le considèrent comme une preuve traditionnelle par écrit, mais en droit chinois, il est un mode de preuve indépendant. Le critère de la recevabilitéde la preuve est énoncédans l’article 68 des Dispositions de 2002, la preuve qui a étéobtenue par des moyens nuisibles aux droits et intérêts légitimes des autres ou contraires àla loi est irrecevable. La preuve constituée par un enregistrement dans un endroit public est admissible.
  4. Le témoignage : Il consiste de la part d’un témoin àvenir déclarer devant la justice ce qu’il a personnellement vu ou entendu.

La déposition des parties connaît deux cas de figure :
–l’explication des parties sur les faits d’une affaire,
–l’aveu d’une partie concernant les faits d’une affaire dénoncés par l’autre partie est recevable, il consiste pour une personne à reconnaître un fait qui lui est défavorable. Il faut cependant souligner que l’aveu d’un fait ne signifie pas consentement à la prétention de l’autre partie.

Le rapport d’expertise :
l’expertise est une mesure d’investigation technique ou scientifique qu’un juge confie à un expert à la demande des parties. Elle a pour finalité l’aide à la décision. La demande d’un expert est à la fois un droit pour les parties à la procédure, et une obligation de la charge de la preuve. Les parties ont le droit de faire opposition à un rapport d’expertise émis par l’expert choisi par le tribunal.

Un constat du juge :
L’investigation effectuée par le juge sur le lieu ou sur les objets du litige, soit àla demande des parties, soit de sa propre initiative.

II. Les particularités en matière administrative et pénale

A. En matière administrative

Le Code de procédure administrative chinois promulgué le 4 avril 1989 est entré en vigueur le 1er octobre 1990 (ci-après CPAC qui comprend 75 articles en total), ses principales particularités sont :

  1. Dans un procès administratif, le défendeur est le département administratif et ses fonctionnaires.
  2. La réclamation du demandeur ne peut porter que contre un comportement administratif concret, c’est-à-dire un comportement unilatéral effectuépar un département administratif envers un citoyen, une personne morale ou tous les autres organes déterminés lors de l’exercice de ses pouvoirs administratifs.
  3. La conciliation n’est pas applicable en matière administrative.

La charge de la preuve en matière administrative, incombe à l’administration(le défendeur). Celle-ci doit prouver un comportement administratif concret dans un délai de dix jours à compter de la réception de la requête. Par contre, le CPAC n’avait pas précisé les cas d’absence de preuve de la part du département administratif ou la preuve présentée passé le délai de dix jours sans motif justifié. La cour suprême populaire a expliqué que dans un tel cas, on estime le comportement administratif concret en cause dépourvu de motif justifié; il en résulte la défaillance du département administratif. Si pour une raison objective ou en cas de force majeure, le défendeur n’arrive pas à établir la preuve, il a le droit de demander un prolongement de délai de dix jours. Pendant le procès, le défendeur ne peut pas recueillir lui-même la preuve du demandeur ou du témoin.

Bien que le CPAC ait expressément stipulé que la charge de la preuve incombait au défendeur, il n’exclut pas que, le cas échéant, la charge de la preuve puisse incomber au demandeur. Le demandeur doit alors prouver :

  1. Qu’il a rempli les conditions d’accusation.
  2. Concernant une affaire dans laquelle le défendeur n’a pas agi, il n’a pas rempli son obligation de faire. Il incombe au demandeur de prouver qu’il a bien déposé une demande. Il faut distinguer entre le fait qu’il n’agit pas et le fait qu’il a rendu une décision négative. Dans le cadre d’une décision négative, on considère que le département administratif a déjà agi.
  3. S’agissant d’une obligation de réparation, celui qui réclame indemnisation (le demandeur) doit prouver le préjudice qu’il a subi.

B. En matière pénale

Les principes de la preuve en matière pénale sont différents de ceux applicables en matière civile.
D’abord, concernant la répartition du pouvoir judiciaire, qui est défini à l’article 3 du code de procédure pénale, le pouvoir judiciaire est réparti entre les organes de la sécurité publique chargés de l’enquête préparatoire et de la détention préventive. Il a le pouvoir de prendre l’initiative de l’action publique, et il est chargé de l’enquête pour toutes les autres infractions sous la direction du parquet ; le tribunal assume la fonction de juger. En effet, dans le système actuel chinois, les organes d’enquête ont des pouvoirs considérables, ils ont le pouvoir de décider et d’exécuter toute mesure d’enquête telles que la perquisition, la saisie, la surveillance de résidence, la liberté sous caution, et la garde à vue (sauf l’arrestation et la détention subséquente) sans autorisation préalable du parquet ou du tribunal.

Ensuite, une grande partie des dispositions de la preuve du code de procédure pénale concerne les modalités d’obtention de la preuve. Les autres parties, qui concernent les dispositions sur la présentation de la preuve, la communication des pièces, la validité de la preuve et l’efficacité de la preuve sont très difficiles à appliquer directement en pratique. C’est la raison pour laquelle sont apparues de nombreuses dispositions publiées par différentes autorités, par exemple «Les dispositions sur certains problèmes dans l’application du Code de procédure pénale » du 19 janvier 1998, énoncées conjointement par la Cour suprême populaire, le Parquet suprême populaire, le Ministère de la sécurité publique, le Ministère de la sécurité d’Etat, le Ministère de la Justice et la Commission chargé du travail juridique du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire. Ces dispositions sont très nombreuses et manquent de cohérence entre elles.

Enfin, la comparution comme témoin devant un tribunal, consiste de la part d’un témoin à venir déclarer devant le tribunal lors d’une audience ce qu’il a personnellement vu ou entendu, et à être interrogé par les parties ou ses avoués selon la procédure prévue par la loi. Cependant, cette procédure fonctionne mal en pratique, et la présence du témoin constitue une grande difficulté. En raison du manque de dispositions concernant la protection des témoins, leur taux de présence est extrêmement faible ; néanmoins le témoignage est beaucoup utilisé à l’audience. L’article 157 du code de procédure pénale chinoise énonce:“le témoignage d’un témoin absent doit être lu à haute voix en audience.” Il en résulte que les parties ne peuvent pas les interroger et que le juge est en situation difficile pour vérifier la sincérité de ce témoignage. La conséquence en est que l’audience reste très formelle et perd beaucoup de son intérêt, le juge rend son jugement sur la base des documents papiers qui lui sont remis.

En conclusion, non seulement en matière de preuve, mais aussi d’une manière générale, la procédure pénale chinoise, même si elle a considérablement évolué ces dernières années et connu beaucoup de progrès, a encore beaucoup de progrès à faire pour atteindre le degré de fiabilité des pays occidentaux.

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1 De même en matière administratif et pénale,
Dispositions sur certains problèmes dans l’application du code de procédure administrative du 4 juin 2002, mises en vigueur le 1er octobre 2002.
Dispositions sur certains problèmes dans l’application du code de procédure pénale du 29 juin 1998, mises en vigueur le 8 septembre 1998.
2 Selon une décision concernant l’abrogation des dispositions publiées avant fin 2007(7ème) de la Cour Suprême Populaire du 8 décembre 2008, les articles 136, 205, 206, 240, 253,299 des dispositions de 2002 ont été supprimés en raison de la modification en 2008 du CPCC, la partie qui concerne la preuve reste en vigueur.