Une comparaison entre les droits anglo-saxon et français (Fr)

Contribution de Kenneth Weissberg au groupe de Travail des Conseillers du Commerce Extérieur de la France traitant des influences internationales concurrentes du droit français et du droit anglo-saxon : quelques propositions d’adaptations législatives susceptibles de maintenir le rayonnement du droit français.

Assiste t’on véritablement, comme le sujet de notre étude le laisse entendre, à une
prédominance du droit anglo-saxon sur le droit civil Romano Germanique dans le monde
économique contemporain ?

La réponse est incertaine car, ainsi que le relève l’étude du Conseil d’Etat de juin 2001,
portant sur l’influence international du droit français, celle ci est indéniable dans de nombreux
domaines juridiques internationaux, particulièrement dans celui des traités qui constituent la
norme juridique internationale suprême et dans celui du droit communautaire, puisque au sein
de l’Europe on observe une fusion des règles juridiques propres aux deux systèmes
concurrents de la common law et du droit codifié civiliste.

A vrai dire, nous pensons que, de manière générale, les mêmes contraintes économiques
entraînent l’application de règles assez semblables aux Etats-Unis et en Europe. L’adhésion
générale au sacro-saint principe de la volonté contractuelle limitée par les seules exigences de
l’ordre public international, rend artificielle l’idée d’une quelconque prédominance de la règle
de droit d’un pays à économie de marché sur un autre.

Cependant, le constat assez banal auquel le praticien du droit international peut se livrer
quotidiennement et qui justifie une stratégie d’influence juridique conduite sur le long terme,
appelant quelques adaptations de notre législation et de nos pratiques pour maintenir le
rayonnement de notre droit est triple :

1) Premier constat : Défense insuffisante de la langue Française

L’anglais est la langue commerciale communément pratiquée aujourd’hui par la plupart des sociétés industrielles, ce qui a pour conséquence que les contrats internationaux sont le plus souvent rédigés en anglais.

Il est extrêmement fréquent qu’un contrat entre une entreprise française et une entreprise
allemande ou asiatique soit rédigé et signé dans sa version définitive, en anglais.
De même observera-t-on que de nombreuses grandes sociétés françaises et allemandes ont fait
le choix d’adopter l’anglais comme langue de communication interne systématiquement
employée au sein de leur groupe et que la Commission Européenne qui prévoit actuellement
l’instauration d’un Intranet pour la communication des informations liées au réseau entre les
autorités et les juridictions nationales des 15 Etats membres et la Commission envisage
d’utiliser a cette fin ‘a commonly understood language’, en d’autres termes l’anglais.

Cette prédominance de la langue anglaise favorise évidemment les Etats-Unis, nation qui a le
plus important marché intérieur et un système juridique de common law attachant une grande
importance à la jurisprudence, c’est-à-dire au caractère normatif des précédents.

Elle favorise non moins évidemment l’Angleterre, qui elle est un passage quasi obligé de
l’Amérique vers l’Europe, avec ses propres secteurs de haute technicité que sont notamment
le droit financier et celui des assurances. L’Angleterre faisant partie de l’Union Européenne,
elle imprègne de son influence le droit européen communautaire qui à son tour influence le
droit des pays civilistes européens.

La conséquence de cette primauté de la langue anglaise est que le fonds de documentation
auquel ont recours les juristes du monde entier est très largement en anglais ce qui les portent
à choisir la facilité consistant à adopter des formules préexistantes présumées offrir les
solutions à leurs besoins spécifiques.

Le législateur français a cherché à limiter les effets pervers de ce recours systématique à des
modèles tirés d’un droit étranger en imposant l’utilisation de la langue française pour la
conclusion des marchés publics en France. L’article 5 de la loi du 4 août 1994, dite Loi
Toubon, dispose : Quels qu’en soient l’objet et les formes, les contrats auxquels une personne
morale de droit public ou une personne privée exécutant une mission de service public sont
parties sont rédigés en langue française .

Ces dispositions ne sont pas applicables aux contrats conclus par une personne morale de
droit public gérant les activités à caractère industriel et commercial et à exécuter
intégralement hors du territoire national.

Les contrats visés au présent article conclus avec un ou plusieurs cocontractants étrangers
peuvent comporter, outre la rédaction en français, une ou plusieurs versions en langue
étrangère pouvant également faire foi.

Une partie à un contrat conclu en violation du premier alinéa ne pourra se prévaloir d’une
disposition en langue étrangère qui porterait préjudice à la partie à laquelle elle est opposée.

Cette loi qui a pour objet la défense de la langue française protège par la même occasion le
droit français avec les pudeurs dictées par l’opportunisme économique.

Ainsi par application de cette loi, la vente d’avions canadiens à la Sécurité Civile française se
matérialise par la conclusion de contrats en français soumis au code des marchés publics
français et aux juridictions françaises, alors que la vente d’avions européens dans le monde se
réalise par la conclusion d’un contrat en anglais soumis en définitive le plus souvent au droit
du for que les parties ont choisi pour résoudre les litiges.

Il conviendrait à notre avis d’étendre les dispositions de la loi Toubon à tous contrats
susceptibles de trouver exécution en France, qu’ils soient conclus entre personnes morales de
droit public ou de droit privé.

Une telle disposition, intégrée dans le code civil, compléterait le privilège des articles 14 et 15
du code civil, qui, en disposant que les tribunaux français sont toujours compétents pour
connaître des litiges dans lesquels l’une des parties est française, ont assuré une place
prédominante du droit du français deux siècles durant.

Précisons à cet égard que l’application des articles 14 et 15 est écartée entre les signataires de
la Convention de Bruxelles, mais reste toujours applicable à l’égard des Etats Unis.

2) Second constat : Insuffisances de notre droit de la preuve

Le système de common law est accusatoire et favorise une plus grande facilité des parties à
instruire le procès et à établir la preuve de leurs griefs. La procédure de discovery (découverte
de la preuve), est infiniment plus efficace que celle de la preuve pré-constituée, qui prévaut
chez nous.

Tandis que dans la procédure française les témoignages doivent être produits par écrit et sont
aussi difficiles à vérifier qu’à combattre, dans la procédure américaine les témoins sont
entendus contradictoirement par les avocats des parties, préalablement au procès et leurs
dépositions sont enregistrées en sténotypie, afin de pouvoir en établir ultérieurement la
sincérité et les contradictions par le procédé des débats contradictoires (cross-examination).

De ce fait, les procédures commerciales anglo-saxonnes ne sont jamais pénales, car il n’est
pas nécessaire de recourir à une information judiciaire, conduite par un juge d’instruction
répressif pour obtenir les preuves nécessaires au succès de sa cause.

Cette efficacité du droit de la preuve se traduit par une plus grande confiance dans la justice
américaine que dans la justice française livrée notamment aux avatars des ‘sursis à statuer’
qu’impose l’article 4 du Code de procédure pénale aux juridictions commerciales lorsqu’une
plainte pénale vient, de manière très souvent dilatoire, enrayer le cours du procès. 80% des
procès aux Etats-Unis n’atteignent jamais le stade ultime du jugement et trouvent leur solution
par la voie transactionnelle car, dans la procédure américaine, la mise en état aboutit le plus
souvent à éclairer les parties sur leurs chances de succès respectives avant qu’il ne soit trop
tard et qu’un jugement aux lourdes conséquences financières n’intervienne. Le juge américain
est davantage un arbitre du combat judiciaire qu’un sage auquel il est demandé de dire en
définitive qui a tort et qui a raison.

En France le procès est trop souvent « une bonne affaire » car, relativement peu coûteux (il
est fréquent qu’un procès coûte 10 fois plus cher aux USA ou en Angleterre qu’en France), il
aboutit le plus souvent à des condamnations avantageuses financièrement pour la partie
défaillante. Le principe de la stricte concordance du préjudice économique subi et de la
répartition allouée, agrémentée d’un taux d’intérêt légal sensiblement inférieur à celui du
marché financier, rend judicieux de faire durer le plus longtemps possible un mauvais procès.

La justice anglo-saxonne, plus coûteuse, puisqu’il revient aux avocats de conduire le procès
au prix de longues dépositions généralement facturées à l’heure, n’a pas les mêmes
répugnances que la justice civiliste à imposer des indemnisations conséquentes et
véritablement réparatrices à la partie qui succombe.

Ceci n’échappe pas aux contractants internationaux qui cherchent toujours à saisir la
juridiction la plus encline à satisfaire leurs objectifs économiques.

Il conviendrait donc pour renforcer l’attrait des juridictions françaises de modifier notre droit
de la preuve pour y inclure des éléments de ‘discovery’ à l’instar de « l’interrogatoire
préalable » adopté par le code de procédure civile du Québec et concomitamment de
restreindre légalement le recours possible à la procédure pénale dans les affaires
commerciales en supprimant la règle du sursis à statuer et en encourageant la justice à
éconduire les plaintes pénales dont le fondement commercial est flagrant. Il conviendrait
également de modifier l’article 700 du NCPC afin d’imposer le remboursement des coûts
réels de procédure et des frais d’avocats à la partie qui succombe.

3) Troisième constat : Désavantage de notre système judiciaire et insuffisance de la propagation du droit français :

Les magistrats et avocats sont davantage en osmose dans le système anglo-saxon que dans le
système civiliste. Les juges américains facilitent le travail des avocats qu’ils accompagnent
dans leurs actions, tandis que les juges français s’en méfient et les perçoivent le plus souvent
comme entravant le cours d’une justice dont ils considèrent qu’elle leur incombe.

Il en résulte que les tribunaux américains ont d’avantage la faveur des hommes de loi que les
tribunaux français soupçonnés d’être enclins a rendre une justice expéditive dans laquelle
l’équité (et parfois le chauvinisme) sont souvent déguisés sous un raisonnement juridique
d’opportunité.

Il conviendrait donc certainement de revoir les fondamentaux de l’enseignement du métier de
magistrat en France ainsi que les principes régissant les rapports entre juges et avocats.

Ainsi par exemple, le devoir de sincérité des plaideurs et de leurs conseils à l’égard du
tribunal est –il sanctionné dans le droit américain par les règles du « contempt of court » : une
partie qui ne défère pas à une injonction du tribunal de communiquer des pièces, ou qui
dissimule des éléments de preuve encourt de lourdes sanctions y compris pénales. Il n’existe
rien de semblable en droit français où le mensonge n’est pas sanctionné en tant que tel.

C’est pourquoi l’arbitrage est plus propice à la conduite d’un procès de qualité car il permet
aux parties de s’entendre dans le « compromis d’arbitrage » sur la procédure qu’ils entendent
adopter et de désigner des arbitres spécialisés dans la matière qui les concerne.

Le droit français offre un large accueil a la procédure d’arbitrage, mais celle-ci reste encore
insuffisamment utilisée.

Eu égard au droit contractuel, le modèle anglo-saxon connaît également ses limites : La
longueur considérable des contrats, en raison du fait que leurs rédacteurs cherchent à couvrir
toutes les hypothèses possibles, ayant fait l’objet d’une jurisprudence particulière, est à la fois
indigeste aux non-initiés que sont les hommes d’affaires et aux juristes civilistes habitués aux

références générales à la loi et à des contrats plus concis sur lesquels ne sont stipulés que les
points que la loi abandonne à la liberté contractuelle.
Parce que les contrats de centaines de pages deviennent l’affaire quasi exclusive des juristes
rompus à l’exercice de lectures savantes, ils tendent à incommoder les hommes d’affaires
soucieux de clarté et de ne pas entraver leurs négociations, et c’est pourquoi on assiste
aujourd’hui à une recherche de simplicité pour des contrats que chacun peut lire et
comprendre, et qui renvoient à une loi que l’on sait juste et efficace.

Or, le droit civil a le mérite de la concision et de la logique cartésienne, qui gagne à être
connu.

L’influence du droit civil français dans le monde passe nécessairement par l’efficacité de sa
dissémination et il convient à cet égard de mettre en oeuvre les recommandations du Conseil
d’Etat, figurant en conclusion du rapport précité.

1) Maintenir la connaissance de notre droit par la traduction des principaux textes et des principales décisions jurisprudentielles du droit Français.

Nous ajouterons a cela, la recommandation que toutes les facultés de droit et les bibliothèques
des cours et des tribunaux étrangers appliquant ou dispensant un enseignement de droit civil
en Français et en particulier dans les pays émergeants reçoivent gracieusement aux frais de
l’Etat Français. Tels que le sont les principaux ouvrages de référence juridique français, que
sont le Jurisclasseur, l’encyclopédie Dalloz, ainsi que les revues fondamentales en français :
les revues de droit trimestrielles, les Bulletins de la Cour de Cassation, le Clunet, etc.

2) Modifier le contenu et les méthodes de l’enseignement du droit en France, qui doit s’internationaliser et se professionnaliser ce qui suppose de donner les moyens aux professions juridiques, notamment les avocats d’être plus puissantes et mieux armées face à la concurrence internationale.

Cet effort incombe aussi bien aux pouvoirs publics qu’aux barreaux de France.